MARIE GROETTE, par Roland Dussaussoy.
"V''lo qu'd'èch' flowe, d'in.ne seule giglèïe, alle m'o apparu, avec ses cavèwes in buchèonwe d'épennes, ses yux méquants et s' bouque plon.ne èd' déints qui barloquouatent.
"- Nom des owes ! qu'a m' dit. N'in v'lo in drôle des jux ichi èd'vant mi ! Quo qu' cha n'n'est qu'èch' machin-lo à deux pattes qui m' ravise ?"
"Mi, j' n'in pinsouais pont moin.ye, os savez ! In.ne fan.me ? In.ne bête ? Avec in groet dins ses mon.yes ? Mapince ! Qu'o qu' cha n'n'est qu' chèowe ?
"Os avons plaidié in momon.ye. A m'o dit, dins nou bon viux patouèïe, qu'alle vivouait dins l'ièowe, ches flowes, ches étants et qu' sin traval ch'étouait d' faire peur à ches éfants et qu' sin nèonwe ch'étouait Marie Groette.
"A m'o presque fait jurer, avec in clognèonwe, de n' pont raconter nou rinconte mais alle saouait bién qu'èj' n'allouais pont ténir parole.
"Et ouais, j'o rincontrèïe in jour Marie Groette ! Os m' croïez pont ? Os avez pétête raison, da.... " (1)
Marie Groette, Marie Grauette, Marie Grouette,... si l'orthographe change selon les villages, le personnage reste le même. Mais qui était-il ?
C. LEROY (2) nous dit : "On a pu l'identifier à la sirène germanique la Meergrau, la mermaid anglaise. Dans la Morinie de langue flamande, on l'appelle "La Meergraue". On retrouve là un suffixe français en "ette", le mot qui marque l'effroi en allemand. Il s'agit d'un véritable mythe populaire qui ne doit rien, chez nous du moins, à la littérature."
Claude MALBRANKE (3) ajoute ceci : "Marie Grauette, cet être fabuleux qui hanterait les mares, les cours d'eau, voire les caves, et qui , muni de "graus" (griffes) attirerait à lui les enfants qui s'approchent de ces lieux interdits."
Si Jules JOLY et Guy DUBOIS en font mention dans leurs lexiques, par contre, André BALLE et Jean-Pierre DICKES n'en parlent pas (4).
Mais, Marie Groette, dins tout chèowe, èd'dû qu'alle viént ? Cueuméint qu'alle o vénu au mon.ne ?
Il faut, je pense, se baser sur les deux points suiv ants à l'époque de la naissance de ce personnage :
a) l'eau fascine mais est dangereuse, et d'autant plus pour les enfants ; il n'existe pas d'eau courante,mais simple-ment des sources et des rivières dans les vallées et des puits (puches) et mares (flowes) sur les monts ;
b) Pour éloigner les enfants de ces endroits dangereux, il s'est créé un personnage sensé vivre dans ces lieux et attirant les gosses au fond de l'eau.
Mais pourquoi Marie-Groette ?
a) N'oublions pas que le "groet" (fourche à quatre ou cinq dents recourbées) était un des outils les plus utilisés dans les campagnes. Le groet sert à tout : dans les jardins (travailler la terre, arracher les légumes, ramasser les ordures et les branchages,...), dans la ferme (faire les litières, "feumer ches lapin.yes", déboucher les fossés (riéowes), dans les champs (saquer ch' fién d' ches bénièowes, éparde èch' fién),...
b) N'oublions pas non plus que Marie c'est le prenom courant (est-il besoin de rappeler qu'il est celui de la Vierge ?). Nombre de femmes le portent, sin comme premier prénom mais comme deuxième ou troisième. C'est un prénom qu'on emploie facilement suivi d'un adjectif qualifiant les filles : Marie-Digeoire (qui parle beaucoup), Marie-Salope (qui bave en mangeant ou se salit fréquemment), Marie-Bélotte (petite fille mignonne), Marie-Piche-èd'-bout, Marie-Piche-troués-gouttes, La Marie,...
Alors, pourquoi pas Marie-Groet...te ?
Yves POUPE (5) en a donné la même explication en ajoutant : "Autrefois, les décès par noyade, accidentels ou désirés, étaient plus nombreux , plus fréquents. Ceux qui ont assité aux recherches, et il arrivait souvent que des enfants fussent de ceux-là, ne peuvent oublier l'horrible vision d'une tête coiffée d'herbes visqueuses, deux yeux et de la bouche désespérement ouverts, masque atroce pétrifiant les témoins d'effroi. Le drame faisait le tour du village tandis que l'affreux spectacle marquait d'une manière indélébile la mémoire des témoins. Pour les enfants et peut-être chez quelques plus grands, la légende prenait corps ; Marie Grouette, sorcière des eaux, gardait intact son pouvoir d'effroi et le plus bravache n'eût pas osé à s'aventurer près des rives meurtrières afin de se voir restituer l'image de l'horrible visage tourmenté, tel qu'il l'avait vu ou qu'on lui avait décrit mythifié. Plus tard, cette vision cauchemardesque viendra peut-être se substituer comme une représentation de Marie Grouette elle-même, la préservant, du coup, de devenir un objet risible".
Et tout cela aujouté, formait un personnage plein de mystère qui effrayant les enfants... Marie-Groette était devenu un personnage de notre folklore (plutôt qune sorcière, mot que je trouve impropre pour la désigner).
François FROMENT, des Rosati d'Artois, a fait ce poème sur Marie-Groette (dommage pour l'orthographe !) :
"Al a des méchants zius et pis des fort longs doets,
"Al tient toudis din s' main el manche ed sin grauet,
"A n'arête pont d' miler, à travers ses leunettes,
"Et n' pinse qu'à prenne ches p'tits éfants, Marie Grauette...
"A s' muche, din ch' noir, au fond d' chés puts et pis d' chés flots,
"Al grenne aveuc ses dints et ses cavieux su s' tête
"Sont tout touliés... CXh'est ène chorchèle, Marie Grauette...
"Du qu'in vo tout partout, din chés ieux al rattind
"Din chés puts, chés flos, ches rivières, à tout momint
"Al s'y treuve ; et malgré qu'al amoute rarmint s' tête,
"Al lorne toudis et n' dort jamais, Marie Grauette...
"Quant al peut agriper echti qu'i vo tout près
"Aveuc sin log grauet qu'al tient toudis tout prêt,
"Ch'est à rien dé s' débatte et d'èl griffer à s' tête,
"In n' peut pu s'in raoir, des graux d' Marie Grauette...
"I n' sé passe point in mois sans qu'in voiche su l' journal
"Eq l'un ou l'aute quét din in put ou un canal
"N'in toudis pou n' point croire à s'n' agripette,
"Mais quante a zz'o à bel, a n'les manque point, Marie Grauette....
"Ah, min p'tit fiu, méfit't à ti èd' t'y risquer,
"Ti oussi al sroit in état èd t'assaquer,
"En' vos jamais trop près dé l'iau : che sroit si bète
"Qu'au fond d' sin tréau, té t'frois croquer d' Marie Grauette..."
Pour terminer, ce texte d'Yves POUPE qu'il racontait si bien (6) : "Adoncques, j'étos incor jeunôt, eum' mère dijot : Acoute min tiot, vas pont muser tout près dé ch' flot pour y salir tes biaux chabots ou pour jester des gros caillaux au fond de l'iau. Acoute min tiot ! Au fond de l'iau, y a eune grosse bête qui vient duch'mint saquer les gins pis après cha, on les r'vouait pus, y sont pardus. Chale povère fimme croyot m' faire peur. Pourtant, in jour, aveuque l' fiu d'èch' marichau, j'ai osaye v'nir au bord de l'iau. Pis, j'ai juestaye un gros caillau in criant fort des mots comme cha : "Marie Grouette, prinds cha su t' tiète ! Marie Grouette, t'es eune sale biète ! Coeure après mi si t'as pons peur." Lors, j'ai filaye à toute allure à travers camps et pis pâtures".
Alors, Marie Groette existe-t-elle ? N'existe-t-elle pas ?
Ce sont là deux questions auxquelles je ne me hasarderai pas à repondre... A chacun d'y trouver la réponse qui lui convient...
Notes et bibliographies :
(1) "Si té raconte eune histoire et qu' t'ésagères pont, ch'est pu eune histoire" (Ti Fred, L'Echo Rural, septembre 1991).
(2) C. LEROY, Bulletin de Mythologie Française, n° 15.
(3) Claude MALBRANCKE, Guide de Flandres et Artois mystérieux (Pas-de-Calais), 1966.
(4) Jules JOLY : "Parler picard au bon vieux temps", Horwath, 1988 ; Guy DUBOIS : "2000 mots du patois de chez nous", novembre 1981 ; André BALLE, dit "Tit Louis" : "Si ch'est Patois, chest mi !", 1980 ; Jean-Pierre DICKES : "La patois pour tous", Eklitra LIV, 1984.
(5) Yves POUPE, "Une audomaroise célèbre, Marie Grouette", Des histoires de chez nous, inédit.
(6) Yves POUPE, "Marie Grouette", L'Indépendant, 19 mars 1983.
Illustration : Dessin de Jack ROBERT, L'indépendant, 19 mars 1983.